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lac-barrage de malpasset-bord lac de saint cassien

  • Thématique Découverte
  • Mis à jour le 18/06/2016
  • Identifiant 68753
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durée / niveau
VTC
03h - N/A
distance
33,8 km
type parcours
Aller/Retour
altitude
169 m 242 m 48 m -234 m
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Lieu de départ
83600 Les Adrets-de-l'Estérel
accessibilite
prestations payantes
Non
type(s) de sol
Terre

Photos & vidéos (3)

description

Au début de l'hiver 1959, les pluies torrentielles vinrent remplir pour la première fois le nouveau barrage de Malpasset, en amont de Fréjus, dans le sud de la France. Lorsque celui-ci cèda soudainement, le 2 décembre 1959 à 21h13, près de 50 millions de mètres cubes d'eau déferlèrent, ravageant campagnes et villages jusqu'à la mer. C'est la plus grande catastrophe de ce genre qui ait jamais touché la France.
Le plan ORSEC - plan d'organisation des secours - est immédiatement déclenché. Les militaires des bases locales ainsi que des hélicoptères de l'armée américaine basés dans les environs s'occupent de porter secours aux survivants, mais aussi de dégager les corps des victimes. Le général de Gaulle, président de la République, venu sur place quelques jours plus tard, découvre une zone totalement sinistrée. La catastrophe a fait 423 victimes
extrait du livre Les amants de Malpasset - à la recherche de l'or bleu.

Extraits du roman d'Annie Bruel
"les amants de Malpasset"
L’histoire du barrage de Malpasset commença en 1945, juste après la Libération, au moment où le peuple de la Provence d’alors, encore meurtri de ses divisions passées, avait besoin de projets fédérateurs pour reprendre courage et retrouver sa bonne humeur perdue.

Dans le département du Var, il est courant de dire que l’eau vaut de l’or, mais c’est beaucoup espérer puisque tout l’or du monde ne pourrait faire que la pluie tombe d’un ciel toujours bleu.

Le berger Joseph qu’on appelait Zé avait coutume de dire: on peut recouvrir tout mon jardin d’or fin, ce n’est pas ça qui fera pousser mes pommes d’amour.

Parce qu’il souhaitait mettre en oeuvre un projet qui tout en assurant sa réélection, enthousiasmerait les Provençaux, le maire de Fréjus et conseiller général d’alors lança l’idée de faire édifier un barrage destiné à l’irrigation des terres et à l’alimentation en eau de sa cité. Se souvenant bien à propos que les Romains, en leur temps, avaient construit à Mons un barrage sur la Siagnole pour alimenter l’antique Fréjus, se souvenant encore que l’eau acheminée par la roche taillée puis par des aqueducs dont les solides ruines, deux mille ans après, parsèment encore le pays, il en parlait ainsi: le barrage que je propose, clamait-il, contentera chacun d’entre nous. En tout premier lieu, nos agriculteurs, en leur assurant l’arrosage régulier de leurs magnifiques vergers de pêchers. En outre, ce barrage fera que les Fréjusiens ne subiront plus de restriction d’eau durant les mois d’été. Ce barrage, enfin, permettra de répondre favorablement toutes les demandes concernant l’activité touristique, activité florissante, un peu plus chaque année...

Bien que ce projet ne fît pas — le contraire eût été surprenant — l’unanimité politique, un géologue fut mandaté afin d’étudier la faisabilité d’un barrage dans la vallée au creux de laquelle coule — ou ne coule pas — un ruisseau nommé le Reyran. L’homme de science parcourut l’endroit en se contentant d’étudier la qualité et les particularités des roches qui le composaient. Son mandat ne l’obligeait sans doute pas à s’inquiéter du débit du ruisseau, sinon, il aurait certainement noté que, n’ayant pas de source propre, le Reyran n’était en somme qu’une goulotte d’évacuation des eaux de ruissellement, goulotte qui se faisait parfois torrent mais qui serait à sec trois mois sur douze.

Las, l’année suivante, le maire de Fréjus, initiateur du projet, ayant disparu de la scène politique, on ne parla plus guère de ce barrage dans les journaux. Lassés d’attendre, les agriculteurs de la basse vallée du Reyran se résolurent à prendre leur problème d’ irrigation en main et, à force de travaux, que ce soit par citernes, par forage ou par pompage, ils réussirent bientôt à subvenir à leurs besoins en eau. Les municipalités firent de même, si bien qu’ en 1950, lorsque le projet sembla reprendre forme, la plupart des Varois l’accueillirent avec impassibilité.

Dans les colonnes des journaux on en parlait comme d’un «serpent de mer», bête mythique qui apparaissait et disparaissait jadis au gré des saisons, ou bien comme d’un conte merveilleux dont on vous narre sans cesse le début mais dont on ne connaîtra jamais le dernier mot.

A son début, le Reyran court dans une douce vallée qui naît entre les villages de Saint-Paul et de Bagnolsen-Forêt, douce vallée qui, en ce temps-là, ondulait entre des collines dépouillées de leur verdure depuis qu’en 1943 un immense incendie avait ravagé la magnifique forêt qui les recouvrait. Le feu avait duré deux semaines et dévasté le pays de Vidauban à Mandelieu. Certains disaient que les Allemands l’avaient allumé afin de mieux combattre ceux des maquis. D’autres disaient en secret que, dans les forêts, les herbes que broutent les troupeaux poussent mieux lorsque le feu y est passé.

Dix ans après, quand commence cette histoire, les ronces, la bruyère et quelques chênes-lièges rabougris parsemaient chichement les versants tandis que, seules, les berges du Reyran avaient retrouvé leur parure d’aulnes, de bouleaux, de frênes et de peupliers.

Au lieu-dit Malpasset, les collines se resserrent, deviennent gorge et obligent le cours du Reyran à se faufiler entre leurs flancs chaotiques avant de le laisser filer droit vers le sud, vers la Vallée rose puis vers Fréjus.

Ce dimanche de juin 1952, l’excitation était à son comble autour du comptoir des Marronniers. Le Petit Niçois annonçait l’arrivée à Fréjus de l’ingénieur architecte chargé de construire le fameux ouvrage qui, disait-on déjà, serait le plus grand barrage d’Europe. Selon l’article, il n’existait personne de plus compétent et de plus grand mérite que cet homme qui avait à son palmarès l’édification d’un grand nombre de retenues d’eau réalisées dans le monde entier.

_Même en Chine, précisa Claude que l’Asie faisait rêver.

Celle de Malpasset, ajoutait-on, par sa conception audacieuse, serait la plus belle de toutes.

Louis lisait le journal à voix haute:

_ « ... le mur du barrage mesurera 60 mètres de haut, et 225 mètres de large au plus haut... il aura plus de 6 mètres d’épaisseur à la base et seulement 1,50 mètre à son sommet... 50 000 tonnes de béton seront nécessaires pour retenir 50 000 000 de tonnes d’eau! »

_ « Ce sera le barrage le plus mince du monde », assurait-on.

_Oh fan!

_ Coquin de Dieu, jamais un mur si mince ne retiendra toute l’eau d’un lac, affirma un maçon.

_ Mais si, lis donc, on te l’explique: « Le tracé en arc de la voûte fait que la pression de l’eau resserre les murs et que la voûte transmet aux berges les effets colossaux qu’elle reçoit... » Ce n’est pas l’épaisseur qui compte ! Vois le linteau de ta porte, sa petite voûte porte le mur tout entier !

En fait de vérifications devant être faites au cours du remplissage, Malpasset n’était soumis, selon la loi, qu’à quelques contrôles réalisés par le service départemental des Ponts et Chaussées. C’était tout ce qu’exigeaient, à cette époque, les textes concernant les retenues d’eau destinées à l’irrigation et, donc, dépendantes du ministère de l’Agriculture. En revanche, si Malpasset avait été un barrage hydroélectrique, il aurait été contraint à de fortes obligations, tout autant durant sa construction, qui aurait été suivie par une commission d’experts composée d’ingénieurs qualifiés,que durant sa mise en eau qui aurait été contrôlée selon un protocole pointilleux.

Cependant, les vérifications les plus importantes, celles qui permettraient la réception définitive de l’ouvrage, devaient se faire lorsque le barrage serait complètement rempli. La mise en eau complète étant empêchée par le procès intenté par la mine de Garrot, une seule vérification eut lieu au cours de l’été 1959, alors que le niveau était loin de la capacité maximale du bassin de retenue. Elle démontra un déplacement de quinze millimètres. Le géomètre qui constata cette déformation la déclara dans les normes.

L’ingénieur responsable était déjà malade. Il n’en fut pas informé.

Ce 19 mai 1951, à la préfecture de Draguignan, la séance de travail, menée par le préfet en personne, avait été tout aussi passionnante que la lutte opposant le génie rural aux Ponts et Chaussées avait été passionnée.

Durant les années précédentes, les Ponts et Chaussées s’étaient proposés pour construire deux retenues aux proportions modestes: une sur la Siagnole qui serait complétée par la réfection du canal romain, et une autre sur le Biançon.

Le génie rural avait proposé un seul barrage sur le Reyran.

Avaient suivi de longues et nombreuses discussions et, en conclusion de ces profitables échanges, ce 19 mai 1951, les autorités préfectorales et politiques devaient choisir entre deux avant-projets proposés par les deux parties.

Le premier, présenté en commun par le génie rural et les Ponts et Chaussées, comprenait deux barrages, un sur le Biançon, l’autre sur le Reyran. Barrages destinés à alimenter non seulement la plaine de Fayence mais aussi les villes de la côte varoise, de Sainte- Maxime à Fréjus.

Le second, présenté par le génie rural seul, était un projet beaucoup plus ambitieux. Il s’agissait d’un barrage colossal installé sur le Reyran, barrage qui aurait l’avantage, par l’énormité de la masse d’eau retenue, de résoudre d’un seul coup tous les problèmes d’irrigation et d’alimentation en eau des environs de Fréjus.

Le préfet fut tout de suite conquis par celui-ci.

Afin de rassembler les diverses sensibilités politiques, il précisa:

« Les cultures de pêchers, de primeurs et de fleurs sont, bien entendu, une grande richesse pour toute notre région. Mais n’oublions pas que, chaque année un peu plus, les petites villes de la côte voient leur population décupler pendant l’été. Le tourisme est en passe de devenir l’activité principale de notre département. II emploie déjà des milliers d’hommes et de femmes, mais grâce à la certitude de pouvoir disposer de millions de mètres cubes d’eau, nous pourrons agrandir le parc hôtelier, créer de nouveaux commerces et construire d’autres habitations. »

Le projet des deux petits barrages, plus coûteux, fut aussitôt rejeté et, de ce fait, commença ce jour-là la rivalité sourde qui désormais allait opposer le génie rural aux Ponts et Chaussées.

Le représentant du génie rural emporta définitivement la maîtrise de l’affaire en précisant qu’il n’existait pas au monde d’homme plus compétent en matière de barrage que l’architecte auteur du projet en question, homme qui se trouvait être aussi le directeur du bureau d’études qui le construirait.

Le représentant du ministère de l’Agriculture proposa aussitôt un financement à la hauteur de soixante pour cent. Le Crédit agricole enchaîna en offrant les quarante pour cent restants.

Le conseil général, lui, serait chargé d’indemniser les propriétaires de la vallée du Reyran _ il n’y en avait que quatre, sans compter la compagnie minière de Garrot.

Mais, étant donné que la concession de la mine arrivait, selon les renseignements, à son terme dans moins de trois années, l’indemnisation devrait être raisonnable et ne pas grever, plus que de raison, le budget.

Restait à déterminer où l’ouvrage serait construit. Le maire de Fréjus reprit aussitôt la parole et dit:

_ Selon l’éminent professeur, expert en géologie, mandaté par mon prédécesseur en mairie afin d’étudier les roches de la vallée du Reyran, l’endroit le plus favorable se situerait aux gorges de Malpasset.

_Pas besoin d’être un savant pour comprendre qu’il sera plus facile de le faire là qu’ailleurs... Té, c’est le seul endroit où la vallée se resserre, maugréa à voix basse quelqu’un de l’assistance.

Le choix de cet emplacement était expliqué dans un rapport qui disait ceci:

« Ce fond de bateau est très propice à une retenue d’eau malgré les accidents de détail qui l’affectent. [....] les assises d’un futur barrage en ce lieu devront être préparées par des travaux de recherche. [...] notons surtout la présence de filons [...] facilement altérables comme susceptibles de provoquer des pertes plus ou moins importantes sous l’ouvrage et dans les épaulements rocheux.

« En conclusion, d’ores et déjà, nous pouvons indiquer que le barrage du Reyran ancré dans des gneiss [....] exigera des travaux d’étanchement qui devront être pratiqués avec grand soin. La roche saine sera repérée partout, jusque dans le lit de la rivière pour éviter des surprises au moment de l’ancrage. Nous préciserons sur le terrain la position de ces travaux de recherche dès que ceux-ci auront été décidés. »

Quelque temps auparavant, le cabinet de l’ingénieur architecte s’était mis en rapport avec le professeur expert en géologie afin de déterminer exactement où le barrage serait construit. Ce fut la seule et unique fois qu’ils se rencontrèrent et qu’ils s’accordèrent sur un sujet.

Mais il se dit que, par la suite, si l’ingénieur entendit les conseils du géologue, il ne tint guère compte de ce que celui-ci recommandait.

Plus tard encore, après que le conseil général se fut assuré auprès de l’architecte ainsi qu’auprès du géologue qu’il n’existait d’objection d’aucune sorte, le lieu d’implantation du barrage fut déplacé — probablement pour une raison de moindre coût — de deux cents mètres en aval de l’emplacement tout d’abord désigné par l’éminent spécialiste en géologie.

Une fois les Ponts et Chaussées écartés de la réalisation du barrage de Malpasset, les ingénieurs du génie rural se penchèrent sur le problème du débit du Reyran pour s’apercevoir de ce que tout le monde savait déjà:
ce ruisseau serait probablement à sec trois mois sur douze.

Des fissures étaient effectivement apparues depuis longtemps déjà, non pas sur le mur comme cela se disait, mais dans les rochers bordant la rive droite du barrage. Elles devinrent rapidement de véritables sources, inquiétants prémices contre lesquels, étant donné la rapide montée des eaux, rien ne pouvait être tenté.

Sans vouloir parler de malédiction, Malpasset n’en continuait pas moins à être l’objet d’une malchance incontestable qui se manifestait sous forme de perpétuels contretemps tout comme en de déplorables adversités.

Sans revenir sur le procès que lui avait intenté la compagnie propriétaire de la mine de Garrot, pas plus sur les conflits politiques sous-jacents, ni sur les mésententes entre le géologue et l’architecte constructeur, ni sur la rivalité entre le génie rural et les Ponts et Chaussées, ni encore sur les possibles inconvénients inhérents à la construction d’une autoroute à guère plus d’une centaine de mètres de son mur, voilà qu’au plus mauvais moment le barrage subissait les menaces d’un déluge peu commun en Provence et que, pour fmir, un autre tracas d’importance allait troubler les derniers jours de Malpasset.

En cette fin d’année 1959, avait commencé l’édification du pont de l’autoroute.

Il n’y a pas de petites revanches. Dès le début des travaux, les Ponts et Chaussées, maître d’oeuvre du chantier, avaient exigé du génie rural, maître d’oeuvre de Malpasset, la fermeture complète de la vanne de délestage afin que l’eau ne vienne pas troubler la mise en place des échafaudages nécessaires à l’édification des piliers. A la fin du mois d’octobre 1959, le pont était terminé, restait à garantir un temps de séchage suffisant à cette énorme masse de béton que soutenaient des coffrages monstrueux.

Ce fut pourquoi, dès le début des pluies, les responsables du barrage de Malpasset se retrouvèrent devant un étrange dilemme:

Soit on ouvrait la vanne et toutes les installations du chantier de l’autoroute recevaient de plein fouet un jaillissement puissant et continu.

Soit la vanne restait fermée et l’eau noyait définitivement ce qui restait de la mine de Garrot et se déversait par-dessus son mur.

Dans la presse, le barrage qu’on ne pouvait pas remplir était devenu le barrage que l’on ne pouvait plus vider.

Le mardi l décembre, après quinze jours de déluge, le dilemme s’était résolu de lui-même. La mine de Garrot était noyée et, vanne ouverte ou vanne fermée, rien ne pourrait plus empêcher l’eau de passer par-dessus le déversoir et de mettre à mal les piliers du pont de l’autoroute.

En outre, la rapide montée des eaux rendait impossibles les vérifications prévues au premier remplissage complet du bassin de retenue.

Restait à faire quelque chose pour éviter le drame qui se préparait.

Une réunion eut lieu le lendemain, réunion à l’issue de laquelle l’ouverture de la vanne de délestage fut décidée.

Comme pour donner raison aux bavardages, un joui de 1957, dans le journal Nice-Matin, parut un article qui disait ceci:

« Est-il exact que, si le barrage du Reyran a fait couler beaucoup d’encre à défaut de la moindre goutte d’eau, c’est parce qu’on se serait rendu compte après coup que, dans le cas où sa mise en eau - qui n’est toujours que partielle - serait amenée à la cote prévue, la pression subie par le barrage risquerait d’avoir sur lui de graves conséquences, conséquences que les auteurs du projet n’avaient, certes, pas prévues ? »

Aux terrasses des cafés, oubliant Malpasset, on préférait parler de la construction prochaine de l’autoroute venant de Marseille et qui, arrivant à Fréjus, tracerait son chemin à deux doigts de Malpasset, enjamberait le Reyran avant de filer vers Nice. II se disait que, plus loin, une interminable procession d’engins monstrueux tranchait déjà la terre des collines pour remplir les vallons en laissant derrière eue une longue plaie saignante que parcouraient des milliers de camions.

Mais, dans l’ensemble, les villageois bénissaient cette fièvre de bâtir qui, en s’abattant sur leur région, leur évitait le chômage ou l’exil. Et cela d’autant plus que l’on parlait aussi de la construction d’un autre barrage qui se ferait à Saint-Cassien-des-Bois. Barrage hydroélectrique, celui-là, destiné à alimenter en électricité Cannes et ses environs.

Les romantiques venaient chaque semaine à Malpasset pour constater la transformation de la douce vallée de maquis vert en étendue d’eau bleue. Une fois arrivés sur le chemin de ronde de ce mur « finement courbé, superbe et gigantesque », ainsi que le décrivaient les journaux, ils s’y accoudaient et passaient des heures entières à ne rien faire d’autre que se pâmer.

Les forestiers s’étonnaient que les abords du Reyran n’aient pas été débarrassés des arbres qui, jadis, le décoraient. A voir les cimes pathétiques des frênes dépasser de l’eau, ils disaient:

—Tout de même, ce n’est pas de la propre ouvrage.

Ceux qui n’étaient jamais descendus à Malpasset haussaient les épaules avec philosophie:

—Bah, pour nous autres pauvres, puisque Le Petit Niçois met sa photo en première page, on sait tout sans avoir besoin d’y aller.

L’eau du lac naissant avait été empoissonnée par la Société de pêche et depuis, tous ses rivages faisaient le bonheur des pêcheurs du canton de Fayence. Ceux-là y allaient à pied, à bicyclette ou en camionnette faire des pêches miraculeuses en traquant le chevenne, les barbillons et le barbeau.

—Pour nous autres pauvres, en plus de nous faire plaisir, le lac remplit aussi les assiettes de toute la famille!

Mais tous se désolaient du fait que ce barrage inonde peu à peu la belle route de Fréjus, celle toute douce qu’ils empruntaient depuis toujours, celle qui se terminait dans la plaine en une superbe forêt de pins parasols.

—A présent, il nous faut attraper le vire-vire en passant par Bagnols vu que cette route-là n’en finit pas de tourner.

Bon gré, mal gré, de pluies fines en gros orages, le lac de Malpasset s’étendait à présent sur deux bons kilomètres, il arrivait un peu avant le vallon de Jasmin, vallon où l’on peut voir encore une sorte de petit pont d’une seule arche, petit pont de pierre à la fois inébranlable et pathétique, petit pont délicieux qui est, en vérité, un morceau de l’aqueduc romain qui allait jadis de Mons à Fréjus.

Lorsqu’à Fréjus la lumière s’éteint, quelques-uns comprennent immédiatement que le barrage de Malpasset a cédé. Mais pas ceux qui dorment, ni les enfants dans leur berceau, ni les vieux dans leur lit.

Pas plus les familles tout entières qui regardent « La Piste aux étoiles », ni ceux qui se promènent dans la rue.

Beaucoup, trop, croient avoir affaire à une simple panne.
Ceux-là perdent un temps précieux à s’éclairer d’une bougie.

D’autres ouvrent leur fenêtre afin de sonder la nuit.

21h40.

La vague déferle sur Fréjus ouest. Bien qu’elle se soit encore alourdie en terre, en débris, en arbres, en morceaux d’hommes et de bêtes arrachés à leurs ruines, bien qu’elle ait parcouru toute la vallée, elle est encore haute de trois étages.

Et puis aussi si longue qu’elle n’en finit plus.

La rue de Verdun la reçoit de plein fouet tandis que la butte des arènes la freine et la détourne, gardant en échange un plein lot de carcasses de voitures.

L’eau entre par les portes, enserre femmes et enfants dans ses tourbillons puis les emporte par les fenêtres qu’elle fracasse à grand bruit.

Elle soulève un camion de déménagement et le projette contre un mur.

Déjà, la gare est emportée ainsi que la coopérative, la station d’essence et le restaurant routier.

Et puis aussi, la cité ouvrière et l’usine Sabagh.

La micheline de Marseille gît bien au-delà de l’enchevêtrement de ses rails.

Ici ou là, cyprès ou clôtures retiennent des corps pitoyables.

Ils sont à demi nus parce qu’ils ont été arrachés à leur lit.

La vague file dans les rues et grimpe le long des murs de la place Agricola.

Elle en surprend plus d’un, court après les autres et les rattrape.

Que faire? Où aller? L’horreur s’étend à gauche comme à droite.

Cela prend un temps infini d’emporter à sa suite tous ceux que l’on aime et d’alerter les pauvres autres, même si on ne les aime pas beaucoup.

Trop souvent, la vague sauvage avale goulûment les chiens et les chats dans leur fuite hagarde.

S’il faisait jour, on pourrait voir passer des malheureux accrochés aux épaves.

On n’entend que leurs cris.

A présent, la coulée de boue ne frappe plus mais elle submerge, elle inonde, elle défonce les portes et part à l’assaut des étages.

Elle s’est teintée du carmin des milliers d’hectolitres de vin de la coopérative.

Elle est devenue si lourde qu’elle enterre aussitôt, rien ne surnage.

Des madriers se cognent aux murs qu’ils trouvent sur leur passage.

Des hommes s’arc-boutent contre les portes tandis que les volets éclatent.

Ceux qui le peuvent grimpent des escaliers, des échelles, ouvrent des trappes.

Les plus agiles passent par les fenêtres pour se réfugier sur les toits.

Une fillette hisse ses petits frères en haut d’une armoire.

Tout est sombre, il fait froid, c’est la nuit.

Des toits s’écroulent à la suite de plaies faites aux façades.

On entend naître des plaintes, des pleurs et des râles, puis on ne les entend plus.

Comme des radeaux, de longs madriers passent.

Des doigts s’y agrippent, un à un les doigts lâchent.

Un lit vide flotte sur les eaux noires.

Un père tente de maintenir son enfant contre lui.

La vague arrive et les sépare.

On les retrouvera tous deux dans le sable de la plage de Fréjus.

Parce qu’elle est chargée de trop de terre et de ruines, à présent, la vague épuisée s’étale et ralentit.

Néanmoins, un dernier remous arrache un enfant des bras de sa mère. La malheureuse ne se remettra jamais de cette tragédie.

Fréjus ouest n’est plus qu’un lac de boue rouge duquel dépassent des épaves pathétiques.

Cependant, la vague sournoise glisse encore vers le camp d’aviation, roule et malmène quelques avions puis elle s’en va jusqu’à la mer rejeter son trop-plein de cadavres et de débris.

S’il faisait jour, on pourrait voir les eaux du golfe se teinter peu à peu de noir et de bistre.

Le tocsin retentit à 22 h 15.

Partout où reste une étincelle de vie, on se débat en silence, on gémit.

Ici ou là, des gestes héroïques vont de ceux qui vivent encore vers ceux que la boue paralyse.

Des vallons de Malpasset à la Vallée rose, hélas, il n’en est pas de même. Là, la vague puissante a pris la vie d’un seul coup.

Des douces collines d’Estérel jusqu’à Fréjus la belle, toute une région de splendeur et de soleil agonise.

A présent, le soleil est haut dans le ciel.

Fréjus ouest semble recouverte d’un linceul. Après avoir recueilli toute la terre arrachée aux campagnes, elle n’est plus qu’une immense flaque silencieuse et trompeuse, une bête repue qui s’allonge avant de s’assoupir.

Tandis que les radios parlent sans cesse de la catastrophe, les journaux préparent une édition spéciale:

« Hier au soir, le 2 décembre 1959 à 21 h 14, le barrage de Malpasset a cédé. La première vague haute de soixante mètres a déferlé à soixante-dix kilomètres par heure. Elle a mis vingt minutes pour atteindre Fréjus et encore treize minutes pour aller se jeter dans la mer. »

Cinquante millions de tonnes d’eau lourde, chargée de blocs de béton, de milliers de troncs d’arbres, de rochers et de broussailles, ont tout emporté sur leur passage, femmes, hommes, enfants et leurs maisons, cultures dans les champs et bêtes dans leurs écuries.

Un bloc de béton lourd de six cents tonnes sera retrouvé à plus de huit cents mètres de l’endroit où il avait été édifié.

Face aux arènes, seul le Moulin brûlé a résisté. On peut le voir encore, malmené, certes, mais toujours fier. Bien que vieux de quatre siècles, ses murs inébranlables ont protégé treize personnes.

Au loin, on ne reconnaît le long ruban de la Nationale 7 qu’aux cimes des arbres qui bordent sa chaussée. Plus de bitume, plus de coopérative, plus de station-service, plus de citernes, plus de restaurant routier. Plus rien qu’un grand trou que la boue recouvre de sa misère infinie.

Au carrefour de la route de Bagnols, une clôture datant de l’occupation allemande a retenu le corps d’une femme dans ses barbelés.

La voie ferrée arrachée et déchiquetée témoigne, à elle seule, de la puissance de la vague qui s’est jetée sur Fréjus.

La gare, ses palmiers et ses tonnelles ont disparu.

Dans la zone militaire, un terrible message passe de bouche en bouche: le personnel et le matériel de l’intendance ont été anéantis.

Une femme prise par les douleurs de l’enfantement ne peut atteindre l’hôpital, elle devra accoucher seule dans une maison humide et glacée.

La micheline qui venait de Marseille vogue à trente mètres du trajet normal de ses rails. Ses voyageurs ont passé la nuit entière sur le toit des wagons avant d’être sauvés.

Le rapide Riviera-Genève a eu plus de chance: plus tardif, il s’est immobilisé au milieu de la mer de boue.

L’avenue de Verdun gardera longtemps le témoignage de son calvaire sur ses murs.

Pour secourir ce qui vit encore, inutile d’espérer se servir des barques des pêcheurs. Elles ne pourraient pas avancer dans cet épais marais fangeux hérissé de décombres. Les flaques de boue ont pris la place des maisons, maisons dont les ruines s’amoncellent en barricades comme pour obstruer des rues qui n’ont plus de sens, ni de nom, ni de jolis balcons suspendus.

Un hélicoptère de l’aéronavale accroche un homme à son filin d’acier. Lorsqu’il emporte le malheureux par-dessus cloaque et décombres, la boue dégouline de la tête vers les pieds tout au long d’un corps que le froid a raidi dans son ultime posture. Les mains sont jointes, le cou ne soutient plus la tête qui se penche. On croit voir l’ébauche d’une statue sculptée dans la glaise, une statue que l’artiste n’aurait pas finie.

A peine né, un enfant est déjà orphelin.

Une jeune femme est veuve avant d’avoir pu se marier. Elle se battra pour que son enfant porte le nom de l’homme que Malpasset a fait mourir.

Dans leurs canots insubmersibles, des pompiers évacuent toute une famille réfugiée sur un amas de tôles.

Un marsouin de l’infanterie navale monte sur une carcasse de camion pour donner de l’eau propre à des enfants isolés sur un balcon entouré d’eau croupie.

Des rescapés se cherchent, des rescapés se retrouvent et s’étreignent.

Une étreinte qui parle de peur et de peine infinie.

De leurs yeux, des larmes coulent, comme elles coulent de tous les yeux encore ouverts.

Les premiers journaux paraissent:

« Dix minutes ont suffi à semer la mort et la désolation du barrage de Malpasset à la mer. »

« Le plus dramatique s’est passé tout le long de la vallée du Reyran, autour de la gare et puis encore dans les quartiers de Villeneuve, Fougasse et la Gaudine. Tous ceux-là ont reçu de plein fouet une trombe d’eau comparable à un déluge d’apocalypse. »

« Saint-Aygulf a été épargné. »

« Aux alentours de Malpasset, il n’y a eu que quelques rescapés, une femme miraculeusement partie la veille pour accoucher, un jeune homme parti au cinéma. Le gardien du barrage, sa femme et son petit sont saufs, Etienne, leur père et grand-père, lui, a disparu.

« Un couple, qui avait fui dans les collines, a marché une grande partie de la nuit pour rejoindre la route à l’aveuglette, dans la nuit. »

« Les piliers du pont de l’autoroute, ceux-là mêmes qu’on avait tant voulu protéger, ont été emportés ainsi que tous les travaux déjà réalisés sur plus d’un kilomètre. Seul l’aqueduc romain de l’Esquine a résisté. »

Dans le vieux Fréjus que la vague a épargné, que ce soit à la mairie, à l’école, sur les pylônes, le long des routes ou dans les égouts, hommes, femmes et jeunesse, fonctionnaires ou bénévoles se dévouent. Pour eux, il n’existe plus d’heures ni de minutes, plus de pause ni de repos, plus de dimanche ou de jours de congé. Ils travaillent sans cesse et ne se relaient que lorsque la fatigue les fait tituber.

Dans la petite poste, juste à côté de la mairie, une jeune stagiaire comptabilise les mandats venus de la France tout entière tandis que, devant elle, un homme répond au téléphone qui sonne sans arrêt. Nul ne peut entendre les questions qu’on lui pose mais sa réponse est toujours la même, à la fois cruelle et pathétique comme une litanie:

— Untel? Impossible, pour l’instant, de se prononcer. Gardez espoir... murmure-t-il avant de raccrocher.

Parce que rester les bras croisés devant tant de malheur paraît impossible, sans cesse des volontaires se présentent à l’école de garçons afin de proposer leur aide au Secours populaire ou à la Croix-Rouge.

Qui sont-ils ? Infirmières, secouristes bénévoles, boulangers ou laveurs de carreaux, peu importe. Hommes ou femmes, peu importe. Fréjus a tant besoin de bras et de coeurs pour se consoler.

Parmi tous ces braves gens, il y a Henri, un jeune sportif, et Julie, une infirmière retraitée.

D’Henri, on fait un brancardier.

On réserve Julie à la toilette des victimes.

Henri est un jeune homme jovial, un blagueur qui bavarde et rit volontiers, un beau garçon doté autant de solides muscles que de vaillance et de bonté.

Il n’est pas de Fréjus mais d’un peu plus loin, peu importe.

Il se met à l’ouvrage le 4 décembre au matin, bien décidé à se rendre utile. La pluie s’est remise à tomber. Il pense encore sauver des vies, peut-être, transporter des blessés, mettre à l’abri de vieilles personnes démunies...

II n’est pas naïf au point d’ignorer qu’il va devoir affronter la mort mais il ne s’attend pas à ce que sera la réalité.

Ramasser et transporter un corps sans vie est une chose. Découvrir, par hasard, un bras, une jambe, un torse moulé dans de la boue séchée en est une autre. Extraire à grand-peine de la fange un nouveau-né éventré est une épreuve pour laquelle nul n’est suffisamment préparé.

Quelques mois plus tard, Henri mettra fm à sa vie. Certains diront qu’il ne s’était jamais remis de tant d’atrocités.

Julie, elle, en tant qu’ancienne infïrmière, a l’habitude de côtoyer les souffrances qui entourent l’agonie.

Elle se met à l’ouvrage le 5 décembre au matin, bien décidée à user de toute son énergie et de tout son savoir afin de soulager autant qu’elle le pourra les peines de coeur, de corps et d’esprit.

La première chose à laquelle son dévouement se heurte est le manque d’eau claire.

La chose est vraie, même si elle semble irréelle. Par manque d’eau, on devra réserver celle apportée en citerne de l’extérieur aux vivants bien sûr, puis à la toilette des nombreux blessés. Les gorges, les bouches et les corps englués, eux, devront attendre que la boue sèche et tombe d’elle-même ou bien se satisfaire d’une toilette sommaire faite, bien souvent, à la lueur d’une lampe ou d’une bougie.

II faudra qu’un long temps passe avant que Julie parvienne à chasser certaines images de ses nuits.

Dès le lendemain du drame, hommes, femmes et enfants accourent en grand nombre puis vont et viennent de la chapelle ardente aux préfabriqués de l’école afin de reconnaître l’un des leurs.

Dehors, les cercueils de planches s’amoncellent avec, parfois, un nom écrit à la craie sur le couvercle. Un nom qui se répète atrocement quand il s’agit d’une famille tout entière.

Le premier jour, il y en a 196.

Le lendemain, 261.

Le surlendemain, 323, et ce n’est pas fini.

Le cimetière est trop petit.

Du Puget à Sainte-Maxime, tous les menuisiers fabriquent à la hâte des cercueils.

Comme on manque, on met deux petites soeurs dans le même.

Quand les classes reprendront, 135 enfants manqueront à l’appel de leurs institutrices.

On peut voir des gens en procession suivre des camions militaires qui, faisant office de corbillards, peuvent emmener toute une famille d’un seul coup.

Les brancards passent chargés de corps boueux et recouverts de draps boueux aussi.

Le maire de Fréjus ouvre un bureau pour accueillir et aider tous ceux qui, profondément choqués, ont momentanément perdu l’esprit. Et puis encore tous ceux qui ne savent plus où aller. Et enfin toux ceux qui cherchent et
tous ceux qui pleurent. Il y en a plus de mille.

Tandis que les services publics s’activent à rétablir les routes, les ponts, l’électricité et les liaisons téléphoniques, on distribue de la nourriture et les premiers secours.

Des camions venus d’Espagne déversent à pleins flots des oranges sanguines.

On vaccine tous les enfants contre la typhoïde.

Plus tard, le général de Gaulle, président de la République, viendra témoigner de sa compassion. Il lancera un appel à la solidarité nationale et promettra que Fréjus renaîtra bientôt de ses ruines.

Dès lors, de toute la France et puis aussi de tous les pays du monde, argent, aide, encouragements, vêtements, denrées arriveront afin de soulager Fréjus de sa peine infinie.

Arriveront aussi, venues de toutes les provinces et de tous les pays, des milliers de lettres bien souvent écrites par des enfants, des lettres de soutien et de réconfort. L’Europe tout entière se sent solidaire des
martyrs et des orphelins de Fréjus.

Chaque jour, et cela jusqu’au 17 décembre, la boue, le sable et la mer rendront, un à un, des restes méconnaissables et des corps en lambeaux.

Le dernier de tous sera le torse tatoué d’un homme qu’on retrouvera sur la plage d’Hyères. II s’appelait Etienne Archantini, il était le père du gardien du barrage.

II habitait la cité ouvrière en aval de Malpasset.

Le malheureux aura mis quinze jours pour accomplir ce grand voyage.

Quinze jours... dont quelques minutes seulement pour descendre la longue vallée, et tout le reste pour voguer le long de la Méditerranée, au gré du courant Ligure.

Un mois était passé. Arriva l’heure du bilan du drame de Malpasset.

Le nombre officiel était de 423 victimes dont 135 enfants de moins de quinze ans.

Comme si cela ne suffisait pas, en lisant ce chiffre, beaucoup haussèrent les épaules :

_ C’est sans compter tous ceux qu’on a pas retrouvés...

_ Tous ceux qu’on a pas voulu compter...

_ Tous les travailleurs clandestins...

Il y en avait effectivement beaucoup. Beaucoup de Sénégalais et aussi quelques-uns de tous les Arabes qu’ on était allé chercher par pleins bateaux en Algérie, plus précisément à Orléansville, sinistrée par un terrible tremblement de terre en 1955— et qui, depuis, travaillaient sur le chantier de l’autoroute et dans les usines des environs.

Près de 1500 hectares de terres cultivées avaient été dévastés, près de 1000 habitations sinistrées dont la moitié complètement détruites, près de 200 familles se retrouvaient plus ou moins lourdement endeuillées.

Sans parler de la voie ferrée arrachée, des routes emportées, des bêtes noyées, des récoltes perdues, du matériel agricole enterré et des 500 véhicules laminés par la vague.

Sans parler de tous les blessés de corps ou d’esprit qui ne pourraient jamais retrouver leur sérénité d’autrefois.

De longues années de travaux et de recherches sérieuses furent nécessaires pour parvenir à déterminer les causes du drame ainsi que les responsabilités de chacun.

Six ans plus tard, deux comités d’experts au plus haut niveau rendirent leurs conclusions.

Les deux rapports parleront de présence de « sous- pressions », phénomène rare qui a pour conséquence le décollement puis le soulèvement du barrage hors de ses assises.

« A Malpasset, la nature avait préparé un véritable piège », dirent les journaux en conclusion.

A la question essentielle :

« Le géologue pouvait-il, au cours des travaux de reconnaissance, prévoir la prochaine accumulation de ces sous-pressions et donc empêcher le drame ? », le premier rapport répond ceci :

« Les différents sondages exécutés après l’accident ont permis de reconnaître dans tout le site le prolongement d’une faille qui passait à une dizaine de mètres sous la partie centrale du barrage [...] on a pu déceler, après coup, la présence de films de mylonite de gneiss [...] qui constituent le terrain de base sur lequel le barrage a été ancré. Or, au moment de la construction du barrage, on ignorait que la mylonite était une roche broyée pouvant permettre à l’eau de s’infiltrer. L’eau en grande quantité, en la pénétrant, aurait aidé à soulever le barrage. li aurait été extrêmement difficile au cours des reconnaissances comportant des sondages, et même des galeries, de les déceler.»

Le second rapport allait dans le même sens :

«Afin de mieux saisir pourquoi les propriétés particulières de la perméabilité du gneiss de Malpasset peuvent être considérées comme déterminantes de la rupture [...], il faut dire que ces variations de perméabilité ont rendu étanche la zone des appuis comprimés de la voûte. L’écran ainsi formé s’est comporté comme un véritable barrage souterrain à l’aval de l’ouvrage qui a pratiquement été soumis à la pleine charge de la retenue et ce surcroît d’efforts s’est révélé incompatible avec la bonne tenue de l’appui. »

Le géologue qui avait fait les études préliminaires s’expliquera ainsi :
« [...] un sondage a été poussé dans le substratum, à 19,30 mètres au sein de la roche homogène, des injections de ciment ont colmaté les fissures et des précautions particulières ont été prises sur la rive orientale: voûte de rayon plus court et mur en aile. »

Un autre expert en géologie conclut son rapport ainsi:

« Le rocher, quoique médiocre, était cependant capable de supporter les pressions imposées par l’ouvrage. »

L’arrêt définitif rendu par la Cour de cassation en date du 7 décembre 1967 dira ceci:

« Aucune faute, à aucun stade, n’a été commise. »

La compétence et la conscience de l’architecte (décédé six mois après le drame), ainsi que celle du géologue, seront mises hors de cause.

Dans les villages, la vox populi n’en continua pas moins à incriminer soit le mur trop mince, soit les tirs de mine, soit les entreprises et bien d’autres choses encore…

On n’en continua pas moins à dire que le promoteur s’était suicidé parce qu’il se sentait responsable de la rupture de son magnifique ouvrage.

En 1966, dans une étude qui a pour titre: « La rupture des grands barrages», un éminent professeur se pencha, entre autres, sur la rupture de Malpasset. On peut lire à ce sujet:

« Tout d’abord, il faut éliminer toutes suspicions sur l’ouvrage tant du point de vue de sa conception que des circonstances de sa construction [...] ainsi que toutes suspicions concernant les vibrations qui eussent été provoquées par les tirs de mine ayant eu lieu à une centaine de mètres du barrage.

« La catastrophe était, sans discussion possible, la conséquence d’une mauvaise qualité du rocher. Une étude préliminaire avait été faite et bien faite. Mais, à partir de là, la construction de l’ouvrage se déroula sous le signe de l’économie. Les travaux de recherche sur la solidité des assises par sondage ne furent jamais exécutés. [...] A cela s’ajouta une absence pratiquement totale de surveillance géologique au cours de la construction.

[...]

« Incontestablement, le phénomène de sous-pression a joué, nul n’en doute, mais il est une règle impérative qui dit que les barrages-voûtes minces ne peuvent être envisagés que sur un rocher de qualité exceptionnelle.

« Ces faits acquis, il faut remarquer que les accidents d’une telle ampleur ne se produisent généralement que lorsque jouent simultanément un ensemble
de facteurs dont les effets s’ajoutent.

« Or, à Malpasset, le sort s’est vraiment acharné sur ce malheureux ouvrage.

« En premier lieu, cette réserve créée sur un torrent qui n’a pas d’eau pendant une partie de l’année ne nécessita pas, comme cela est d’usage, de détourner son cours pendant les travaux. Opération qui est réalisée d’ordinaire en creusant un tunnel provisoire pour faire s’écouler l’eau par une voie latérale. Un tel tunnel aurait recoupé une faille qui joua un rôle primordial dans la rupture ainsi que l’ont montré les travaux exécutés au cours de l’enquête.

« Qui plus est, le même régime sec du Reyran retarda considérablement le remplissage de l’ouvrage, ce qui rendit impossibles les essais traditionnels avec
remplissages partiels à des niveaux croissants, suivis de vidange et accompagnés de mesures systématiques de déformation. Une seule mesure fut faite au cours de l’été précédent et montra un déplacement de 15 min dont on ne tira aucune conséquence.
« Enfin, sur un plan administratif, seuls les ouvrages destinés à la production de force motrice étaient soumis au contrôle d’une commission spéciale composée d’ingénieurs qualifiés ; les autres, dont celui de Malpasset, destinés à l’irrigation, n’étaient soumis qu’au contrôle du service départemental des Ponts et Chaussées. »

Il est 21 h 12.

Une belle nuit s’étend sur Malpasset.

Cela commence par un grondement sourd mais puissant. Une sorte de frisson à la fois si violent, si profond et si obscur qu’il ne ressemble à rien de connu.

On pourrait imaginer cent bombardiers traversant le ciel étoilé.

Le sol et l’air vibrent encore lorsque retentit la formidable déflagration.

Une déflagration dont le souffle semblable à mille typhons se projette vers les collines, arrachant du sol pierres, taillis et oiseaux endormis.

Ce même souffle atteint un pylône de l’EDF. Les villages en amont sont aussitôt plongés dans la nuit.

En aval, tous ceux qui ont — cent fois déjà — tenté d’imaginer ce que serait le fracas du désastre comprennent à l’instant que Malpasset a cassé. Sans même regarder derrière eux, ils prennent leurs enfants dans leurs bras et se précipitent vers les sommets des collines, ils courent à perdre haleine, ils tombent parfois puis se relèvent et courent encore. Chacun de leurs pas les éloigne du plus effroyable de tous les cauchemars de leurs nuits. Les plus vieux et les plus vieilles grimpent à l’aveuglette, malgré leur coeur qui flanche, malgré les pierres qui blessent leurs pieds nus.

Déjà, le barrage à demi éventré laisse échapper, de sa carcasse blessée, l’eau qu’il maintenait prisonnière de son mur. Aussitôt, de sa plaie, une effroyable vague se déverse et s’écrase sur le premier retour de la colline.

Elle projette vers le ciel ses franges de fureur tandis qu’à l’arrière, ce qui restait du grand mur, à son tour, cède, libérant une deuxième vague plus énorme encore que la première.

Des blocs gigantesques de béton rose roulent un instant dans ses trombes puis, trop lourds, ils se détachent et s’enferrent à demi.

Très vite, les deux vagues se rejoignent presque et déferlent, géantes, violentes et dures comme de l’acier.

Le pont les reçoit en plein milieu de ses jambes enrobées de coffrages. II se brise, s’écroule et s’éparpille, entraînant à sa suite le long ruban de l’autoroute.

Les vagues n’en font plus qu’une lorsqu’elles atteignent les premières habitations. Aveugles, elles ne les voient pas et les emportent toutes et, avec elles, comme fétus de paille, elles emportent enfants, femmes et hommes de la cité d’en haut, enfants, femmes et hommes de la cité d’en bas et puis encore enfants, femmes et hommes de toutes les fermes et de tous les cabanons qu’elles trouvent sur leur route.

A chaque repli de la vallée, les vagues se cognent et rebondissent.

Heureux les quelques-uns qui sont parvenus sur les collines. Ils passeront de longues heures à moitié nus dans le noir et le froid de la nuit.

Heureux celui qui, surpris par les hennissements de son cheval, a pressenti le désastre et s’est enfui.

Malheureux tous ceux que la vague violente, immense, inouïe, surprend ou rattrape, malmène, déchiquette et fait mourir.

Malheureux ceux qu’elle garde dans ses remous.

Malheureux ceux qu’elle enfouit.

Peut-être, bien plus tard, retrouvera-t-on quelques- uns de leurs membres labourés dans la mer, quelques- uns de ces corps déchirés dans la boue.

Tous les autres ont disparu. Aujourd’hui encore, ils y sont là où la vague les a ensevelis.

Il est 21 h 17.

La gigantesque vague d’eau claire n’est plus qu’une odieuse trombe de boue ocre, une colossale, constante, haute et profonde coulée rougeâtre qui déferle en charriant troncs, poutres, voitures, parpaings et madriers qu’elle vole partout où il y a de la vie.

Un désastre qui n’en finit plus.

Le chemin est encore long jusqu’à la mer tranquille.

Aveugle, méchante, la trombe continue son carnage.

Dans la campagne, elle déracine les arbres et cogne les murs.

Sur la route qui longe la vallée, elle glisse et accélère, tandis que la campagne la ralentit.

Elle a désormais la forme et la précision d’une flèche qui file vers son but.

Sa pointe court après les voitures, les rattrape et les avale dans ses remous.

Un homme flotte sur un tapis de canisse, sa femme s’agrippe aux branches d’un arbre.

Le tumulte étouffe leurs cris, l’eau noie leurs larmes.

Bientôt, dans leur bouche et dans leurs oreilles, il n’y aura plus que fange et vacarme.

Un chien hurle.

Hommes, femmes, enfants, fermes, cabanons, granges et baraques ne sont plus que des brindilles dérisoires, déchets de vie que ses tentacules roulent, rejettent, reprennent et laissent parfois profondément enterrés sur ses bords, tout au long de son sinistre périple.

La monstrueuse vague descend encore, tel un fleuve déchaîné, telle une coulée de lave rouge. Tout ce qu’elle perd en vitesse en arrivant dans la Vallée rose, elle le gagne en importance jusqu’à prendre, par moments, quatre kilomètres d’envergure.

Elle court toujours, charriant dans ses tourbillons femmes, hommes, enfants, débris de maisons, bêtes, arbres, épaves de voitures.

Il fait noir, il fait froid, il fait nuit.

S’il faisait jour, on pourrait voir des silhouettes agrippées aux branches les plus hautes des arbres, d’autres encore allongées sur des planches, d’autres à cheval sur les toits de tuiles.

De loin en loin, fermes, maisons, étables volent en éclats.

En un instant, la Vallée rose n’est plus qu’un sinistre lac.

La vague arrache deux enfants à leur lit et les écrase contre le mur d’une grange.

Un coup de feu retentit. Quelqu’un a préféré la balle de son fusil à la boue hérissée de débris qui le menace.

Des appels de détresse s’élèvent puis se perdent dans la nuit.

Plus loin, sur une autre colline, d’autres malheureux tentent d’allumer un feu, le froid les a transis.

21h34.

La vague est passée, semant le drame.

Elle est en vue de Fréjus.

Elle emporte le transformateur EDF, la ville et ses faubourgs sont plongés dans la nuit.
le long du lac de saint cassien la piste est très belle. avec une belle végétation.

en toute saison et pour toute la famille

en vélo électrique c 'est très facile. très peu de cailloux.

Points d'interêt (1)

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Informations complémentaires

83600 Les Adrets-de-l'Estérel
kilomètre 29,97
latitude 43.5523
altitude 155 m
longitude 6.79412
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